mercredi 25 juin 2008

RADE TERMINUS


RADE TERMINUS

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre avec ce roman, je savais juste que ça parlait de Madagascar, et plus particulièrement de Diego. Curiosité donc, d'autant plus qu'il n'a pas été écrit par un autochtone, que la vision de l'étranger sur un pays m'a toujours intéressée, et que Mada je connais (pas particulièrement Diego cela dit). Grande méfiance aussi pour le style et l'approche, peur de me retrouver face à un énième Houellebecq, le roman de l'écrivain français d'aujourd'hui (enfin une certaine catégorie) ne me séduisant pas plus que ça - me gavant même assez vite (le côté un peu bobo, intello-branchouille,...), pour tout dire. 

Je mets du temps à rentrer dedans - dès les premières pages, je me dis, "toi je sens que je vais pas t'aimer" - je pars avec de gros a priori qui ne m'aident pas à apprécier ce que je lis -  on passe d'un personnage à l'autre comme ça, assez énervants, limite antipathiques, c'est assez pénible de les suivre malgré certaines touches d'humour, on se demande quand est-ce qu'on va rentrer dans le vif du sujet... 
Et quand on y est, on comprend toute cette mise en place des protagonistes de l'histoire, très logique, fluide, limpide, et on suit chacun dans sa découverte de Diego.

Et là, j'ai été assez déstabilisée par le mépris ambiant et les critiques féroces qui se dégageaient des impressions générales. D'habitude, ce genre de réflexions se fait avec tact et humour, on fait au moins semblant de concéder des points positifs ça et là sur un pays pour équilibrer la balance et éviter de froisser, mais là, paf, prends-toi ça dans la gueule, c'est un jugement sans appel et loin d'être une invitation au voyage.

Et puis finalement, on se rend compte que tout le monde y passe et pas avec tendresse, critiqueurs comme critiqués, autochtones comme touristes, résidents ou expats... C'est une peinture triste d'une certaine réalité qui a pour décor Diego, un portrait de gens à la dérive un peu en quête de reconnaissance, d'existence, d'importance, et qui trouvent peut-être un peu de cela dans cet ailleurs loin de chez eux sans en être tout à fait satisfaits, sans être totalement bernés. "Ici, les Blancs disent : "J'en ai marre, je vais partir", mais ils restent tous." Cela s'applique aussi au "Noir" à l'étranger, pour qui la désillusion et la résignation font partie du lot quotidien. Par ailleurs, je ne pense pas que ce soit typique de la France, ou de Madagascar, du Blanc, ou du Noir. J'avais croisé, au Vietnam, des "touristes" à durée indéterminée qui se plaignaient de tout sur place mais qui soupiraient à l'idée de devoir rentrer chez eux un jour.

Nicolas Fargues semble bien connaître le genre humain et apparaît comme un fin analyste de la nature humaine en fin de compte, chaque personnage est dépeint avec beaucoup de réalisme, on les imagine (et on les reconnaît) assez facilement à travers leur façon de penser, leur ressenti, leur attitude. Moins convaincant dans la peau du malgache, usant du stéréotype un peu facile de l'indigène possédé par le mépris et un complexe d'infériorité face à l'envahisseur, il brosse, cela dit, toute une palette de personnages aux backgrounds, aux motivations et illusions variées que l'on suit avec grand plaisir et attachement tout au long du roman.

Il y a des moments truculents dans l'histoire aussi, les tocs de Philippe (grands moments de poilade), Amaury, tout un poème à lui tout seul (excellent, vraiment rocambolesque comme personnage, son évolution m'a beaucoup amusée), Grégorien, le malgache fraîchement débarqué en France (quelle histoire ! à la fois tragique et drôle, à l'image de cette incompréhension nord-sud dont il est question tout le long du roman), même l'ado éperdument amoureux, tous parviennent à nous charmer et à nous toucher à leur manière.
De même, j'ai beaucoup aimé "Le carnet de Philippe" à la fin, dans lequel sont notées ses observations et ses réflexions personnelles (a priori celles de l'auteur aussi, non?) sur Diego, son quotidien, ses habitants, leur mentalité, leur mode de vie, etc, en une série de notes brèves, diverses et variées (mdrrr la réflexion sur les prénoms).
Philippe est d'ailleurs peut-être celui qui a la vision la plus objective de Diego, dans le sens où il n'a aucune illusion, aucun espoir particulier, aucun préjugé, juste une expérience de la vie et des autres, fragilisée cependant par une remise en question d'ordre personnel.

J'ai beaucoup aimé la fin (les fins...), et d'une manière générale, le style de l'auteur qui sait adapter son écriture aux situations diverses et aux différents contextes - scènes vivides et palette variée de tons donc pour notre plus grand plaisir.

Non, franchement, je suis ravie de cette lecture - j'étais partie sur de gros a priori malgré une grande curiosité, et j'ai découvert au final un auteur intrigant dont j'ai beaucoup apprécié l'écriture, le style et ce qu'il dégage à travers ses écrits. Je lirai certainement d'autres de ses romans s'il y exploite d'autres thèmes qui me parlent.

Commenté également par Daniel Fattore et Clarinette.

L'auteur
Nicolas Fargues est né en 1972. Enfance au Cameroun, au Liban puis en Corse. Études de lettres à la Sorbonne. Mémoire de DEA portant sur la vie et l’œuvre de l’écrivain égyptien Georges Henein. Deux ans de coopération en Indonésie, retour à Paris, petits boulots, publication en 2000 du Tour du propriétaire. De 2002 à 2006, dirige l’Alliance Française de Diégo-Suarez, à Madagascar. Ses deux derniers romans s'intitulent J'étais derrière toi, paru en 2006, et Beau rôle, publié en 2008.

8 commentaires:

  1. Heureux que cela t'ait fait passer un bon moment! J'en ai un autre sur ma pile à lire; c'est un bonhomme à suivre.

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    1. Oui je ne regrette pas d'avoir perturbé ma PAL pour ce roman! :) J'en ai noté un autre moi aussi, J'étais derrière toi, mais ce sera à l'occasion, pas de sentiment d'urgence non plus. Réelle priorité à ma vieille PAL là (pffrt, je rigole en pensant à un truc que je vais poster d'ici peu).

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  2. Moi aussi j'ai été perturbée par sa vision des malgaches et des habitants de Diégo en particulier mais il faut reconnaître qu'il y du vrai dans ce qu'il écrit. Ceci dit ce livre a le mérite d'être sans concession et de donner une vision non édulcorée de Mada...

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    1. Oui finalement c'est plutôt intéressant d'avoir un regard extérieur qui se veut franc sans se noyer dans les sempiternelles image-cartes postales de lémuriens et cocotiers à tous les coins de baobabs ...

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  3. ... c'est sans doute justement parce qu'il s'éloigne des cartes postales, parce qu'il rappelle qu'il y a toujours un "trou du cul du monde" quelque part loin de chez soi (celui-ci étant localisable en France ou à Madagascar) que ce livre dérange. Et qu'il est intéressant.

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    1. Oui c'est clair, il ne laisse pas indifférent et ce livre n'aurait aucun intérêt s'il s'était arrêté à l'image carte postale.

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  4. Un billet intéressant et très détaillé, je le linke de suite au bas du mien !
    En effet, chacun s'en prend pour son grade dans ce roman. Quant à Amaury, j'avais une envie de le baffer...

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    1. Merci! Je file lire ton billet. J'aime vraiment beaucoup le style de cet auteur, je trouve qu'il aborde ses sujets et ses personnages avec une certaine intelligence, je m'étais promis de lire d'autres de ses romans mais... le temps, les défis, tout ça...

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